Cassandre, de l’équicoaching à l’écran

 

Le film Cassandre, actuellement en salle, plonge les spectateurs dans un climat familial complexe et incestueux. Au cœur de cet univers troublé, les chevaux jouent un rôle clé, offrant à la protagoniste un espace vital de liberté et de guérison. Hélène Merlin, la réalisatrice, revient sur une séance d’équicoaching avec Eva Reifler. Un moment décisif qui a relancé l’écriture de son scénario. Rencontre.

Interview d'Hélène Merlin, réalisatrice

Un lien profond avec les chevaux depuis l’enfance
Depuis toute petite, Hélène Merlin entretient un lien fort avec les chevaux. Son père l’a initiée très tôt à l’équitation. Comme Cassandre, j’ai monté à la Garde républicaine, puis dans un centre équestre où je pratiquais essentiellement le concours complet et le horse-ball. Dans le film, elle dépeint un centre équestre à l’opposé des méthodes autoritaires qu’elle a connues dans sa jeunesse. Un lieu fondé sur la confiance, l’écoute et la coopération qui reflète une autre manière d’être en lien avec le cheval.

L’écriture de Cassandre débute en 2016. Au départ, le personnage principal est très axé sur la compétition. Mais, au fil des années, Hélène Merlin suit de nombreuses séances d’équithérapie et d’équicoaching avec différents intervenants. Ce travail sur moi m’a permis de prendre conscience de tout ce que les chevaux m’avaient apporté à l’adolescence. Le scénario a alors pris une nouvelle direction. J’ai souhaité explorer davantage ce que le cheval peut offrir sur le plan émotionnel — de manière subtile, profonde, parfois invisible.

 

Une séance d’équicoaching déterminante avec Eva Reifler
En 2020, l’écriture de son scénario piétine. Hélène Merlin traverse une période de blocage profond depuis des mois. J’étais figée, paralysée devant la page blanche, incapable d’avancer sur mon scénario. C’est sur un coup de tête qu’elle contacte Eva Reifler – fondatrice de l’IFIE – pour une séance d’équicoaching.

Ce jour-là, Eva Reifler lui propose un exercice avec trois chevaux. Chaque cheval représentait un élément de ma situation : mon objectif, mon blocage et ma ressource. Ce qui m’a frappée, c’est qu’au début, ils étaient tous trois totalement immobiles… Cela reflétait exactement mon état intérieur. Petit à petit, Hélène prend conscience qu’elle est tellement focalisée sur la fin de son scénario qu’elle ne voit plus rien autour. Les chevaux se sont alors mis en mouvement, comme s’ils avaient brisé la cristallisation de mon blocage et ouvert un espace en moi.

Un déclic qui lui permet de lever le regard, d’entrevoir un après Cassandre, d’autres projets, d’autres possibles. Elle évoque un moment du film, inspiré de cette expérience, où le moniteur dit à Cassandre, juste avant sa chute à l’obstacle, de lever les yeux. Il y a vraiment eu un avant et un après cette séance.

Hélène Merlin a également participé à un atelier sur le chamanisme à l’IFIE. L’un des temps forts a été ce moment où Eva faisait tourner un cheval au galop dans un rond de longe. Je devais lui demander de changer de sens, simplement en affirmant ma présence. Cette expérience a profondément résonné en moi : elle m’a poussée à m’imposer, à occuper ma place, à me relier pleinement à mon corps.

Eva Reifler a offert à la réalisatrice un espace bienveillant et cadré dans lequel elle a pu avancer à une vitesse qu’elle ne soupçonnait pas. En très peu de séances avec Eva, j’ai fait des pas de géant.” 

Après un long blocage sur le scénario de mon film, une séance d’équicoaching avec Eva Reifler a permis de relancer le processus créatif. C’était stupéfiant.


Les chevaux, source de respiration dans le film
Dans le film, le centre équestre contraste radicalement avec l’univers familial. Là où le foyer est marqué par la tension, le contrôle, voire le rejet des émotions, la relation au cheval propose tout l’inverse : un lien basé sur l’écoute, la justesse et le respect. C’est un espace où les émotions de Cassandre peuvent exister, être entendues.
Dans l’une des scènes, le moniteur lui dit, alors qu’elle cravache son cheval : Tu as le droit d’être en colère, mais pas de la passer sur lui. Il ne la juge pas, il ne la fait pas taire. Il accueille ce qu’elle ressent tout en lui posant des limites fermes.Pour moi, c’est l’un des grands principes de l’accompagnement : reconnaître l’émotion sans l’invalider et lui offrir un cadre pour qu’elle puisse circuler autrement.

Cassandre navigue donc entre deux mondes : d’un côté, le manoir familial, une sorte de château hanté par ses secrets et son ambiance pesante ; de l’autre, le centre équestre, plus ouvert, connecté à la nature, au corps, à l’extérieur.
Le contraste passe aussi par le langage. Dans la maison, la parole est envahissante et les logorrhées parentales finissent par tout recouvrir, alors qu’auprès des chevaux, c’est le calme qui règne. D’un côté, on a les mots qui étouffent, de l’autre, un espace de silence où quelque chose peut advenir. C’est aussi ce que m’a appris la communication non violente : si on laisse de la place, si on écoute vraiment alors la parole peut se libérer.

L’équicoaching m’a permis de progresser sur tous les plans : mon vécu, mes traumatismes, mon rapport aux autres… et cela a fait mûrir les messages que je voulais transmettre à travers le film.


Les différentes réactions face à la peur
L’écriture du film a été nourrie par certaines lectures, notamment Réveiller le tigre : guérir le traumatisme de Peter Levine.
J’ai découvert ce livre pendant mon stage avec Eva Reifler. Sa lecture m’a apporté une grille de compréhension précieuse pour explorer les réactions de Cassandre, notamment face aux abus qu’elle subit de la part de son frère.

 

Dans le film, le père de Cassandre évoque les grandes réponses à la peur : le figement, la fuite, la soumission et l’attaque. Cette tirade s’inspire de l’ouvrage de Peter Levine. Hélène Merlin explique : Cela m’a permis de structurer les différents états de Cassandre au fil du récit. On la voit traverser la sidération, la soumission, la confrontation… et, dans la scène finale, elle choisit la fuite. Un acte de survie, une décision pour se sauver.


Trouver la force de dire stop auprès des chevaux
C’est auprès des chevaux que Cassandre puise le courage de fuir ce climat familial incestueux. Il y a cette scène marquante où elle galope les yeux fermés sur un grand cheval palomino. Ce moment symbolise la réconciliation mais aussi une forme d’abandon qui lui donne l’élan de dire stop.
Hélène Merlin explique avoir volontairement inscrit cette séquence dans une atmosphère presque chamanique : le rythme des percussions, le battement lancinant du tambour, plongent le personnage dans un état proche de la transe.Il y a là quelque chose de l’ordre du bercement, du retour à une mémoire archaïque. C’est dans ce lâcher-prise qu’elle trouve le pouvoir d’agir.


Ressource, respiration, liberté

Quand Hélène Merlin pense aux chevaux, plusieurs mots lui viennent à l’esprit : Ressource,toucher,respiration. Elle évoque l’importance du contact physique, du peau-à-peau avec l’animal et de l’apaisement profond que ce lien peut offrir. On sait aujourd’hui que le contact avec le cheval peut libérer de l’ocytocine, ces hormones qui apaisent, explique-t-elle.

Dans le film, l’aspect symbolique du cheval est central,“il incarne la liberté. Hélène Merlin espère que son travail contribuera à une évolution dans la manière dont on perçoit les chevaux.Le cheval est un être sensible, fin, intelligent. Il mérite qu’on le respecte, qu’on prenne le temps de l’écouter.

Propos recueillis par Iris Cazaubon