Perdre N°Joy le 15 mai 2015 était sans doute le moment le plus dur de mai vie. La culpabilité me ronge. Bien que je connaisse les messages derrière les émotions, la réécriture d’une histoire, la psychologie et le travail somatique, trouver la jument au sol ce matin me poussait presque au delà de ce que je pouvais intégrer.

Depuis trois semaines je me réveille automatiquement autour de 3 heures le matin, je me lève pour vérifier si tout allait bien à l’écurie – après tout, la jument va bientôt mettre bas – son 6ème poulain.
Lundi après-midi le vétérinaire vient l’ausculter et me dit d’avoir la main sur des pieds et non pas sur la tête.
Il me rassure, qu’avec son expérience, N°Joy arrivera à sortir un poulain même en siège. Les cinq fois précédentes, il avait à chaque fois touché la tête. Je la regarde et lui demande silencieusement si elle souhaiterait que je l’emmène à la clinique. « Phewww » est sa réponse et je la traduis convenablement avec un : bien-sûr que non.

Avec mon passé je veux être rassurée, après tout je me sens coupable de la mettre aussi souvent en danger en lui laissant avoir des poulains. Ce que je n’ai pas osé, je le lui délègue, le synonyme de la mettre en danger.
Je continue à me lever les nuits pour surveiller et depuis le contrôle vétérinaire elle a son grand boxe bien paillé la nuit. Elle est séparée par un rond-de longe pour pouvoir se retirer tranquillement du troupeau au cas où. Pas encore de signaux que la mise-basse soit imminente.

Le journal d'equicoach : supporter l'insupportable

Cette nuit fatale, comme d’habitude je me réveille et m’apprête à sortir, l’horloge du micro-onde m’informe avec ses chiffres stridentes qu’il est 00:13. Je suis surprise par l’heure. N° Joy mange paisiblement à proximité de son petit troupeau familial, il n’y a pas de signe d’accouchement imminent. Je retourne me coucher.
Vers 07h30 je descends à l’écurie, insouciante et je la trouve allongée dans sa paille. J’aperçois du sang – un peu – sur le bac à eau et une des parois du boxe – je la crois dormir. Les yeux ouverts – elle ne bouge pas. Ce moment me semble durer une éternité…. J’ignore encore le drame qui a dû se jouer entre mes passages.

Le vétérinaire appelé en urgence le soulève : les petits sabots de Nuka ont percé le vagin et N°Joy n’a pas réussi à sortir le poulain. Les deux étaient mortes.
Depuis la vie n’est plus pareille – et si je m’étais levée plus tard ? et si j’avais interprété son « phewww » différemment, et si je l’avais emmené à la clinique ? et si je ne l’avais plus fait pouliner ? et si… aucun commentaire pouvait me consoler.

Quelle leçon d’humilité. J’avais de l’impression de bien faire : J’enseignais une pratique qui menaient les personnes à être plus proches de leurs vraies aspirations – l’approche envers des chevaux se modifiait petit à petit dans mon environnement, j’étais engagée sur un chemin plus psychologique et spirituel. J’arrêtais de manger des produits animaliers pour sauver la planète, et je me considérais comme une personne sur une bonne voie. Pourquoi alors, accepter que ma belle jument meurt seule (SEULE !) dans son boxe.

Vers la fin de l’année, la situation dans mon couple continue de s’aggraver et, par un soir gris et enneigé de novembre, mon ami de longue date rompt une fois de plus avec moi dans l’une de ses colères régulières, empreintes de jalousie. Le lendemain, tout devrait être oublié et pardonné. Cette fois-ci, je me répète en boucle, que de me séparer de certains des chevaux, du domaine ou encore de mon activité, ne peut être pire que de perdre N°Joy. J’ai survécu à sa mort tragique, je serai donc capable de surmonter cette séparation. Et j’ai tenu !

N°Joy m’a libéré de ma relation toxique par son sacrifice avec ce qu’elle avait de plus précieux : sa vie et celle de son poulain. Je lui ai promis, de lui en être éternellement reconnaissante. Il m’a fallu trois ans pour me libérer des mécanismes de la dépendance affective.
Pendant cette période, j’ai navigué en terrains difficiles, j’étais très vulnérable et ma foi dans la leçon de N’Joy et Nuka m’a fortement soutenue.

Je ne les ai pas oubliées – elles m’ont rendu ma vie ! Merci pour leur générosité.